1.7 - Problèmes spécifiques posés par la communication sur la nature

Les professionnels de la nature ont développé un langage qui leur est propre et qui peut être difficile à comprendre pour autrui.

mise à jour: 01/01/2002

 

Qu'est-ce que la nature ?

Problèmes de langage

Stéréotypes

Etre instrumental au lieu d'interactif

Jamais de bonnes nouvelles

 

Tous les problèmes décrits dans la section précédente s'appliquent en général, y compris, à la communication sur la nature et par les organisations de conservation de la nature. Néanmoins, il existe aussi des problèmes spécifiques posés par la communication à propos de la nature.

1.7.1 Qu'est-ce que la nature ?

Ceux "de chez nous" et ceux "d'ailleurs" : experts et non-experts

Communication non-intentionnelle - un exemple
 

Un centre d'accueil dans une réserve naturelle propriété d'une ONG peut être construit en bois de façon à donner une impression de "naturel", conformément à la nature qui l'environne, ou de façon à illustrer que les membres de cette ONG dépensent l'argent judicieusement. Pour les visiteurs qui possèdent un système de valeurs différent, le centre peut paraÎtre pauvre, laid, non-professionnel ou, pire encore, destructeur de forêts.

Les professionnels de l'écologie forment un groupe de chez nous". Malgré toutes leurs différences personnelles et professionnelles, ces professionnels ont beaucoup de choses en commun lorsqu'il s'agit de la façon de voir la nature. Ils possèdent généralement des connaissances dans les domaines scientifiques idoines. Ils possèdent leur propre jargon pour communiquer entre eux. Ils parlent de la nature en termes de processus d'écosystèmes, d'habitats importants et de listes rouges d'espèces.

La plupart des gens avec qui nous - en tant que professionnels de l'écologie - communiquons sont des gens "d'ailleurs" par rapport à nous. Nous pensons que nous les comprenons, mais il est possible que nous nous fondions sur des stéréotypes ou des préjugés. Bien sûr, pour les chasseurs, propriétaires fonciers ou agriculteurs, les écologistes ou les représentants des pouvoirs publics sont aussi des "gens d'ailleurs" à l'égard desquels ils conçoivent quelques idées préconçues. Ceci peut constituer une barrière majeure à la communication entre un agriculteur et un professionnel de l'écologie lorsqu'il s'agit de la nature. Ils pensent qu'ils parlent de la même chose, mais il n'en est rien.

Les problèmes de communication sont garantis lorsque nous, en tant qu'écologistes, pensons que la communication avec les groupes qui nous sont extérieurs signifie leur expliquer "la vérité" ou pire, "les éduquer". Ces groupes sentiront immédiatement qu'ils ne sont pas pris au sérieux et il y aura de fortes chances pour qu'ils réagissent de façon hostile. Le fait que d'autres groupes aient un point de vue différent sur la nature ne signifie pas qu'ils ont tort - même si leurs opinions ne sont pas "scientifiques".

Le point de vue des agriculteurs, propriétaires fonciers, gestionnaires de l'eau, chasseurs et tous les autres groupes "d'ailleurs" doivent être pris au sérieux. Dans leur monde, ces points de vue ont du sens! Ceci peut constituer un problème pour les écologistes qui, parfois, tendent à croire qu'ils sont les seuls "experts de la nature", connaissant la vérité, notamment sur sa protection. Il est bon de rappeler que même parmi les écologistes circulent bon nombre d'idées parfois conflictuelles sur le fonctionnement des écosystèmes et sur l'interaction entre les espèces et les habitats. Il est également bon de rappeler que les connaissances que les agriculteurs et autres ont de la nature peuvent s'avérer justement déterminantes pour la gestion de la faune sauvage.

1.7.2 Problèmes de langage

Les professionnels de la nature ont développé un langage qui leur est propre et qui peut être difficile à comprendre pour autrui. Pensez au terme "biodiversité". Les écologistes savent que cela signifie la variété de la vie sous toutes ses formes; pour beaucoup de personnes ("ceux d'ailleurs"), ce mot pourrait faire penser à une nouvelle lessive biologique ! Il peut aussi donner aux autres l'idée que la conservation de la nature est un sujet élitiste avec un jargon conçu pour exclure les "gens ordinaires". Il existe encore beaucoup d'autres mots et de phrases compréhensibles par les écologistes mais qui sonnent comme une langue étrangère aux oreilles des autres: "processus et systèmes écologiques", "programmes de sauvegarde des espèces", "plans d'action habitat", "passerines, échassiers et gibier d'eau", "sites NATURA 2000", "organismes génétiquement modifiés" pour ne nommer que quelques-uns. Et pour mettre les choses au pire, ce jargon est souvent réduit à des sigles tels que OGM.

Au sein des organisations de protection, ce jargon peut être très utile parce qu'il rationalise la communication. Mais vous pouvez entendre des professionnels de la nature utiliser ces mots dans une interview à la radio ou à la télévision, et il est plus que probable qu'ils utilisent un langage similaire dans leurs contacts quotidiens avec les agriculteurs, les propriétaires fonciers, etc. Les conséquences pour la communication peuvent être désastreuses. A un premier niveau, cela empêche la compréhension (et crée les malentendus) à propos de ce qui est dit ou écrit - ceci est déjà un problème en soi.

A un niveau plus profond, toutes les idées des groupes sociaux concernés sur les "scientifiques" et les "pouvoirs publics" s'en trouveront confirmées. La conservation de la nature est placée dans la même catégorie que la physique quantique ou la réglementation fiscale : non destinée à être comprise des gens normaux et très frustrante.

 

Apprendre à gérer l'espace en faveur de la nature - Etude d'un cas au Royaume-Uni
 
Dans les années 1950, les pratiques agricoles en Europe ont connu une révolution majeure. Des fertilisants et pesticides, de nouvelles machines plus grandes et efficaces, ont remplacé les méthodes traditionnelles peu intensives pour l'exploitation des terres. En même temps, au Royaume-Uni (à la fin des années 1940), les hommes politiques commencèrent à reconnaître la valeur de la nature et de la faune sauvage comme une source irremplaçable d'agrément et de repos pour les êtres humains. La législation favorisa alors la création de réserves naturelles nationales et l'identification de "sites d'intérêt scientifique spécial" pour la faune sauvage.
Les scientifiques qui investirent la nouvelle organisation de conservation de la nature, créée par la Loi, appliquèrent la (relativement nouvelle) discipline de l'écologie à la gestion et à la conservation des réserves naturelles. Ils obtinrent quelques succès en employant différents systèmes de gestion.
Dans la majeure partie du pays, des terres de grande valeur naturelle - hors les réserves naturelles - ont continué à être soumises à une exploitation intensive. Une nouvelle législation fut introduite au début des années 80 pour fournir une réelle protection à ces zones, précieux habitats
pour la faune ou la flore sauvages. A partir de là, un "manque de connaissances" survint.
La rigueur scientifique qui avait servi la gestion des réserves naturelles offrit bien quelque aide dans la détermination des besoins de gestion pour ces sites d'intérêt spécial. Cependant, le vrai problème était d'approfondir la connaissance des pratiques agricoles traditionnelles, à l'origine de l'intérêt écologique de ces sites, et qui sont essentielles à leur durabilité même. La nouvelle génération d'agriculteurs n'avait jamais appris, ni n'avait eu besoin d'apprendre, ces pratiques. Une grande partie des connaissances sur les anciennes méthodes agricoles, en particulier les subtilités des conditions locales, auparavant transmises oralement de génération en génération, avaient disparu avec ceux qui les détenaient.
En même temps qu'on érigeait la conservation de la nature en science, en institution, voire en dogme, on a négligé le savoir local, éparpillé et perdu, dont pourtant la conservation allait dépendre. Ce savoir doit être en grande partie "réappris" et mis en commun à partir de toutes les informations recueillies auprès des personnes qui les possèdent encore (et avec une compréhension réelle des tenants et aboutissants locaux).


1.7.3 Stéréotypes

Malentendus professionnels à propos de la "nature"

En fait, les écologistes et autres protecteurs n'arrivent aucunement à s'entendre sur ce qu'est la nature ni sur l'importance relative de chacun de ses composants. Nous connaissons les débats existant entre différents groupes d'écologistes à propos des habitats qui seraient mal protégés et de ce qu'il conviendrait de faire. Une protection réussie d'une population de cervidés peut s'avérer nuisible pour la végétation d'une zone naturelle. La réintroduction du lynx peut affecter la sauvegarde d'une population menacée de petits mammifères, de hamsters sauvages par exemple. Elever le niveau hydrostatique peut être bénéfique pour certaines plantes et inversement pour d'autres.Si ces différences de point de vue ne sont pas prises en compte et discutées dès le début, elles pourront facilement être brandies comme argument contre les plans de protection. Après tout, si même les experts ne s'entendent pas ...

Voir aussi 2.2

Ceci nous conduit à un autre problème de communication sur la conservation de la nature. Certains groupes possèdent de fortes images négatives et préconçues à l'encontre de la protection et des écologistes et ils peuvent ainsi être enclins à ne pas écouter avant même toute ébauche de communication. Nous connaissons tous l'histoire de la lettre allant directement à la corbei lle, non ouverte, aussitôt que le logo d'une ONG pour la conservation de la nature est aperçu ou de cet écriteau au portail d'une ferme: "Pas de vendeurs ambulants, pas de représentants des pouvoirs publics". Mais ceci fonctionne dans les deux sens.

Lorsque les écologistes entament une démarche de communication, ils possèdent fréquemment des idées préconçues sur les récepteurs et leurs réactions. Un membre expérimenté du personnel d'un bureau de protection peut prévenir un nouveau collègue sur le point de partir pOUl' sa première visite chez un agriculteur de "garer la voiture face à l'entrée de façon à pouvoir repartir aussi vite que possible ; tu ne peux pas prévoir leurs réactions lorsqu'ils verront le logo sur le côté de la voiture". A cause de ces stéréotypes, les écologistes peuvent décider de ne pas s'embêter avec la communication parce qu'ils " savent" qu'ils perdent leur temps. Lorsque la communication est inévitable, ils se réfugient dans les supports écrits pour éviter toute rencontre. Le résultat est le même (aucun succès) mais au moins, ils ont la preuve d'avoir essayé - si ça ne fonctionne pas, ça ne peut pas être de leur faute !

1.7.4 Etre instrumental au lieu d'interactif

Les organisations de conservation de la nature ont une longue tradition d'utilisation de la communication pour atteindre leurs objectifs. Centres d'accueil, brochures, affiches, films et activités d'éducation jouent un rôle éminent dans les campagnes de communication. Comme nous l'avons vu plus haut, ces moyens de communication à sens unique ne permettent qu'une faible interaction - ou aucune - entre l'émetteur et le récepteur. La question est de savoir si ces campagnes instrumentales conduiront réellement à long terme à un changement durable des comportements et convictions à l'égard de la nature. Nous avons déjà mentionné que les changements durables dans les convictions nécessitent plus d'un message entre l'émetteur et le récepteur. Ceci ne signifie pas que choisir une approche instrumentale soit toujours erroné - tout dépend de la situation. Si l'on découvre que la rage sévit dans une forêt, placarder des affiches et faire de la publicité dans les médias peut être le seul moyen d'avertir efficacement les promeneurs qui s'y aventurent avec leurs chiens.

Dans bien des circonstances, une approche plus interactive de la communication, incluant visites, appels téléphoniques, ateliers de travail et tables rondes, sera plus efficace. Les problèmes concernant la gestion de la nature sont trop complexes et impliquent trop de groupes pour qu'un seul bureau voué à la protection puisse les résoudre. Dans beaucoup de pays, une consultation formelle des parties prenantes (tous les groupes ou individus qui se trouvent d'une façon ou d'une autre impliqués dans un problème ou une question spécifiques) fait maintenant partie intégrante du processus de formulation et de mise en oeuvre des politiques et plans d'action pour la conservation de la nature.

Mais les processus de consultation formels ne seront pas satisfaisants pour tous si les diverses parties prenantes se contentent de mettre en avant leur propre point de vue. Des frustrations peuvent être évitées en essayant d'introduire des moyens de pensée plus et imaginatifs et une approche constructive à l'égard du problème à résoudre. Le développement d'un consensus à travers la participation des parties prenantes est une nouvelle tendance prometteuse qui prend en compte le caractère interactif du processus de communication. Dans le chapitre 2, nous traiterons de façon plus détaillée de ce sujet.

1.7.5 Jamais de bonnes nouvelles

Dernier problème, enfin, concernant la communication sur la nature : les écologistes ont souvent un "message négatif". Ils passent beaucoup de temps à dire aux autres ce qui leur est interdit. Les agriculteurs ne doivent pas faire paître leur bétail en juin parce qu'une espèce protégée d'orchidées fleurit ce mois-là ; l'entrepreneur chargé de la construction d'une route doit changer son tracé parce qu'une espèce rare d'amphibie peuple une mare voisine. En fait, la conservation de la nature est souvent regardée comme une nuisance, voire une entrave au progrès.

La bureaucratie comme barrière à la communication - l'interaction comme solution. English Nature comme cas d'étude
 

Un thème récurrent parmi les critiques adressées au système de conservation de la nature du gouvernement du Royaume-Uni est la lenteur et les entraves imposées aux actions de protection par la paperasserie administrative. Ceci est vu comme le résultat de l'introduction d'une nouvelle loi en 1981.

Néanmoins, au sein de English Nature (administration de conservation de la nature au Royaume-Uni), le point de vue est légèrement différent, S'il est vrai que la nouvelle loi a introduit un volume de tâches administratives significativement plus élevé, la législation a aussi fourni l'opportunité (et même un besoin) d'initier le dialogue avec les propriétaires fonciers. Leur réponse a été, dans un premier temps, extrêmement défavorable. Ils regardaient la nouvelle bureaucratie attachée à la conservation de la nature, et les personnes qui y étaient associées, comme antipathiques, contraignantes, inflexibles et anonymes. C'était en partie le résultat d'une approche de la communication fondée sur la

transmission, Dans nombre de cas, des lettres étaient simplement envoyées aux propriétaires fonciers pour les informer qu'ils étaient dorénavant tenus de se soumettre à la nouvelle législation en matière de gestion de leurs terres.

Les choses peuvent changer et cela a été le cas en Angleterre. La solution au problème a été l'application d'une approche interactive - dialoguer avec les agriculteursen groupe ou individuellement, plutôt que de poursuivre une communication uniquement dirigée par l'émetteur. L'examen de l'attitude des propriétaires exploitants indique que, au cours des années qui ont suivi l'introduction de la législation, des relations de travail bien plus efficaces ont été établies, la situation s'améliorant de façon significative.
 

(Source: lan Mclntyre Associates, 1995; Business and Market Research Pic., 1996.)

 

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Un plan de protection peut, parfois, être vu comme une forme de critique. Si une organisation de protection développe un plan de gestion durable d'une forêt, le propriétaire peut l'interpréter comme un signe de méfiance : "Etes-vous en train de me dire que je m'occupe mal de ma propre forêt ?"

La communication sur la nature concerne bien souvent de mauvaises nouvelles, qu'il s'agisse du déclin de l'état de la nature ou de la perte d'importantes zones naturelles, Bien que cela soit habituellement vrai, les gens peuvent être enclins à "décrocher" et à perdre tout intérêt pour un sujet ressenti comme déprimant ou même effrayant.

Présenter la conservation de la nature sous forme de message positif sera le thème des chapitres suivants et cela représente un défi pour celui qui communique sur la nature. Nous verrons quelle efficacité peuvent avoir la planification des programmes de communication, l'établissement de politiques interactives et une présentation de haute qualité pour nous permettre d'éviter les problèmes énoncés ci-dessus.